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dimanche 27 février 2011

Vous avez interviewé Isabelle Saporta, auteur du «Livre Noir de l'agriculture» - 20minutes.fr

Vous avez interviewé Isabelle Saporta, auteur du «Livre Noir de l'agriculture» - 20minutes.fr

Alors que débute le Salon de l'agriculture à Paris, Isabelle Saporta a répondu à toutes vos questions sur l'agriculture intensive et ses dérives...

Bonjour, j'ai vu l'émission sur France 3, une émission avec beaucoup d'infos techniques. Vraiment bravo et merci pour les renseignements. Mais, justement, que pouvons-nous faire, nous consommateurs, à qui on ne dit pas tout? Nous n'avons pas assez d'informations sur les produits en vente.
Pierrelea

Il faut, le plus possible, s'éloigner des produits transformés, revenir à des choses simples, des fruits et légumes de saison, si possible, achetés à des petits producteurs avec lesquels vous aurez renoué un lien de confiance. Retrouver la CONFIANCE voilà le maître mot.

Bonjour, Tout d'abord, bravo pour votre enquête et le documentaire qui en est issu. Mes questions : 1) Que faire pour que les choses évoluent dans le bon sens? 2) Pour ceux qui ne peuvent, pour des raisons économiques, se nourrir exclusivement d'aliments bio, comment connaître les produits, les filières les «moins mauvaises» ? Merci.
Jean

Déjà, manger local, acheter à des petits producteurs, et respecter les saisons. Rien que cela, c'est déjà énorme.

Merci pour votre combat qui, je le pense, est noble. Je partage nombreuse de vos idées. Par contre pensez vous, qu'un jour, les choses changeront? Pensez-vous qu'il y a un espoir de changement? Ce changement sera provoqué par un changement (voir une révolution) de nos habitudes de consommation, pensez vous que TOUT le monde sera capable de se changement?
Fabien

Bien sûr! Mais on a besoin d'un sacré coup de pouce des politiques! On ne peut pas tout faire reposer sur le consommateur. Ils paient déjà beaucoup le consommateur: les aides, la facture d'eau, la facture santé... Et il serait prêt, lui, à mettre tout cet argent dans une agriculture vertueuse, mais pour le moment, ce n'est pas vers ça que s'oriente les politiques publiques.

J'ai vu votre documentaire fort intéressant. Le plus sidérant est d'y apprendre que c'est avant tout le stockage en silos des céréales qui amène à leur pollution par des fongicides et autres substances potentiellement dangereuses. Dites-nous maintenant le nom de la seule marque de grande distribution qui utilise le blé stocké en silos réfrigérés pour éviter cela dans la fabrication du pain qu'elle distribue aux consommateurs. Autre question: que pensez-vous des produits bio importés d'Allemagne que l'on trouve sur nos étalages, et de leur bilan carbone ? Comment ce fait-il que l'on entende plus parler des suites du scandale récent de leurs aliments bio our bétails pollués aux dioxines par des huiles industrielles recyclées soi-disant par erreur ?
Francoyv

Il suffirait d'accepter de payer 15 euros de plus par tonne de blé pour qu'il n'y ait plus de pesticides de stockage... C'est ce que coûte les silos réfrigérés qui permettent de ne pas traiter. Pourquoi ne le fait-on pas massivement? Par ailleurs, il est évident que tant que l'on nourrira nos bêtes avec tous les déchets des industries mondialisées, on aura des scandales sanitaires. Cette année la dioxine, il y a quelque temps le cadmium... Et ce n'est hélas, pas fini.

Ne pensez-vous pas que le "système" agricole en vigueur doit , son immobilisme aux syndicats agricoles, FNSEA en tête, et à sa sur-representation politique, sensible aux lobbys "phyto chimico pharmaceutique"?
Les problèmes environnementaux en particulier. L'exemple de la pollution de l'eau est significatif. Connu depuis des décennies, il n'a jamais été traité autrement que par des déclarations sans effets.
perplexe

J'en suis persuadée aussi. Il faudrait une profonde réforme du paysage syndicaliste actuel. La FNSEA pousse les paysans dans ce système productiviste. Un système qui leur fait perdre de l'argent, perdre leur santé, met à mal la nôtre et ruine notre environnement. Il faut que le ministère de l'agriculture s'émancipe de la FNSEA. Qu'il tape du poing sur la table. Imaginez que le Conseil d'Etat révèle dans son dernier rapport que l'agriculture est à l'origine de 60 à 80% des pollutions de l'eau et ne paie qu'1% de la facture de dépollution...

Il a été démontré que l'agriculture durable permet de produire autant en gagnant plus et en travaillant moins. Pourquoi cette résistance des agriculteurs pollueurs et empoisonneurs?
Pat29

Ca, je me le demande aussi... Je n'irai pas comme vous jusqu'à traiter les agriculteurs d'empoisonneurs, mais par contre, vous avez parfaitement raison, il est urgentissime de changer de logiciel. Mais pour avoir énormément débattu avec la FNSEA ces derniers jours... Et bien, ce n'est pas gagné.

J'ai 60 ans et suis fils de petits exploitants familiaux. C'est trop facile de désigner des boucs émissaires. Tout le monde est responsable à commencer par le consommateur qui voulait et veut toujours du beau du gros et du pas cher. Mes parents pratiquaient une agriculture que l'on dirait bio aujourd'hui, mais les consommateurs ne voulaient pas d'un fruit avec une tâche de tavelure ou une piqure. Pour continuer à vivre il a fallu que mes parents s'adaptent à la demande et utilisent les produits phytosanitaires, les engrais et l'irrigation. Les agriculteurs avaient des problèmes à résoudre, ils ont utilisé les produits en vente sur le marché. Quand les produits détergents utilisés par la ménagère contenaient des polyphosphates qui eutrophisaient les lacs et petits cours d'eau a-t-on montré du doigt cette dernière, non, les industriels ont été priés de changer leurs additifs et les station d'épuration doivent dé-phosphater. Pourquoi ne fait on la même approche avec les agriculteurs? Donnez-leur d'autres produits et ils les utiliseront.
Daniel

C'est pour cela que j'écris que les paysans sont les boucs émissaires d'un système qu'ils subissent. Nous portons une responsabilité collective en ce qui concerne la situation actuelle. Et c'est collectivement que l'on s'en sortira. Les agriculteurs se sont pliés aux cahiers des charges que les pouvouirs publics, la grande distribution, les industriels, leur ont imposé. Les consommateurs se sont habitués à des produits sans défaut et ont banni les fruits moches de leurs paniers. Tout cela est vrai. Et c'est aussi pour cela que sans une éducation du consommateur et sans une volonté politique forte, on ne s'en sortira pas. Il est trop facile d'accuser les agriculteurs et de les laisser seul.

Le consommateur est prêt a payer plus cher pour avoir des fruits et légumes bio, mais qu'est-ce qui nous garantit que le produit vendu est réellement sans pesticide et autres traitements?
Anarchiste au pouvoir

Vous voyez où on en est? Cette perte de confiance? Il est urgent de renouer avec nos paysans...

Comment pouvez-vous "éduquer" le consommateur français qui n'a pas peur des contradictions en réclamant à la fois: -des produits bons marché, donc issus de l'industrie agroalimentaire mondiale (ex: poulet en batterie) -des produits sains pour sa santé qui devraient normalement être issus de chez son fermier bio voisin organisé en AMAP ou pas mais qui malheureusement proviennent en majorité des circuits de distribution étrangers organisés de longue date sur une base industrielle (ex: choux chinois importés d'Allemagne)?
Francoyv

Les prix bas sont illusoires! Quand les consommateurs se tournent vers les premiers prix, ils oublient que ce faisant, ils paient 4 fois leur alimentation. Une première fois avec les subventions agricoles, une seconde fois lorsqu'ils glissent leurs produits dans leur caddy, une troisième fois quand ils paient la facture de dépollution d'eau, et une quatrième fois lorsqu'ils règlent l'ardoise de la santé publique. Si les pouvoirs publics mettaient plus d'argent dans l'agriculture vertueuse, les consommateurs, n'auraient pas à régler toutes ces factures annexes... Mais pour cela, il faudrait une véritable volonté politique.

Et pourquoi pas des lois, mais aussi des aides financières pour arrêter ce massacre? Y aurait-il quelque chose à perdre ?
Mythique

Vous avez raison, sans une intervention courageuse des pouvoirs publics, on ne s'en sortira pas. Il faut rééquilibrer les aides, donner plus aux agriculteurs les plus vertueux. Mais pour le moment, ce n'est pas vers cela que l'on s'oriente. La dernière loi de finance vient d'accorder 196 millions d'euros aux agrocarburants tout en réduisant par deux les aides au Bio. Sur les 12 milliards d'euros que touchent les paysans, moins de 500 millions sont consacrés à des mesures agro-environnementales. Ca ne fait pas lourd...

Bonjour, dans votre livre, vous décrivez particulièrement les dérives de l'élevage porcin. Est-ce pire que dans les autres élevages (bovins, volailles, etc.) ? Si oui, est-ce que ça ne porte pas préjudice à d'autres filières moins intensives? Vous mettez également en valeur la filière "Bleu blanc coeur" pour l'alimentation des bovins, n'y a-t-il pas d'autres manières bien plus simples (alimentation des vaches à base d'herbe, sans avoir besoin de rajouter du lin) pour rééquilibrer notre alimentation ? Merci.
Babiroussa

Comme je le rappelle dans mon introduction, j'ai parlé du porc, comme j'aurais pu parler de tout autre élevage intensif. L'exemple du porc est intéressant car c'est la viande que nous consommons le plus et qu'ils ingurgitent la moitié des antibiotiques vétérinaires de France. La filière lin est une solution, l'herbe, comme je le dis également, en est une, encore plus simple pour les vaches. Autant dire que bien des solutions s'offrent à nous pour s'en sortir!

Bonjour, votre combat est un enjeu majeur pour la Société en devenir, nos enfants, petits-enfants..etc... mais croyez-vous que des sociétés comme Monsanto, Pioneer et d'autres, vont vous laissez piétiner leur plate-bandes ? Ne craigniez-vous pas d'avoir de sérieux ennuis avec cette profession (les grands céréaliers) qui ne pensent qu'à engranger de l'argent, toujours plus d'argent sans se soucier le moins du monde, de la santé de leurs concitoyens? J'ai pu visionner un documentaire sur la firme Monsanto, et ce que j'y ais découvert m'a fait peur, car ces sociétés sont capables de "TOUT", afin de préserver leurs acquis, et même plus.
LUMPcefini

Les attaques sont violentes et le combat est rude et inégal, vous avez raison. Mais ce n'est pas pour cela que je me laisserai impressionner. De nombreux paysans m'ont parlé de l'omerta du milieu, de leur crainte, de leur peur. Il est temps de briser cette loi du silence.

Si la distribution (hyper-marchés, commerces de gros et demi-gros, transports et officines diverses) cessait d'abuser de notre portefeuille, nos producteurs pourraient peut-être espérer vivre décemment, à la mesure de leurs efforts, au lieu de se livrer corps et âmes à la dictature stakhanovienne des distributeurs-traders. Ils produiraient moins, peut-être, mieux, certainement et pour le même prix. Non?
Vieux crouton

Cher Vieux crouton, nous sommes deux vieux croutons... Je partage entièrement votre analyse. Permettez-moi de vous donner un simple exemple. Aujourd'hui, nos animaux sont nourris avec un régime maïs-soja qui non seulement est détestable pour l'environnement, mais en outre engendre une carence généralisée en oméga 3 pour notre lait, notre viande, nos oeufs. Et donc pour nous tous qui les consommons. Ce déficit cause de nombreuses pathologies et engendre l'obésité. Or, il suffirait de cultiver du lin sur 1% seulement de la surface agricole utile pour mettre fin à ce déséquilibre. 1% qui couterait 1 centime d'euro de plus par carcasse de viande. Qui refuse de payer à votre avis?

Dans votre livre vous vous demandez pourquoi il faudrait continuer à financer sur les deniers publics un système couteux pour les agriculteurs, pour notre santé et pour notre environnement et ne pas investir massivement dans la conversation vers une agriculture plus durable respectueuse des hommes et de la planète. Pensez-vous que l'administration française, le ministère et les Instituts comme l'INRA puisse assurer cette transition? Le poids de l'administration n'est-il pas trop lourd? Et est-ce que notre appartenance à l'Union Européenne nous le permettra?
Gael

L'INRA travaille aujourd'hui d'arrache pied sur ces questions et propose de nombreuses solutions. Cet institut réfléchit à une autre façon de cultiver qui permettrait aux agriculteurs de gagner mieux leur vie, et de respecter l'environnement sans faire baisser leurs rendements. Au niveau Européen, le nouveau Commissaire, Dacian Ciolos est très sensible à toutes ces questions. Il voudrait notamment que les protéines ne soient plus massivement importées mais cultivées en Europe. Il souhaite que notre agriculture soit davantage liée au terroir. Donc, on a une fenêtre de tir pour la réforme de la politique agricole commune. Encore faut-il que notre Ministre de l'agriculture s'émancipe de l'influence du syndicat majoritaire, la FNSEA, et qu'il renoue avec le bon sens paysan...

Un monde sans pesticide, c'est possible? Les grandes cultures peuvent-elles survivre sans pesticide? Le modèle d'agriculture intensive n'est-il pas fondé sur ces derniers?
Bertrand

Oui! Et c'est une excellente nouvelle! Et ce n'est pas moi qui le dis mais l'INRA (L'Institut National de Recherche Agronomique). Ils ont prouvé qu'en finançant à hauteur de 200 euros l'hectare l'agriculture biologique, et en taxant à 40% les produits phytosanitaires, on atteint les 20% de surface en bio prônée par le Grenelle de l'environnement, tout en réduisant de 40% les phyto... Ca vaut le coup d'essayer, non? Mais pour ce faire, il faudra mettre de l'argent dans la recherche agronomique plutôt que dans la recherche pour de nouveaux pesticides et surtout, il faudra réapprendre les gestes de l'agronomie: la rotation des cultures, l'importance de planter des protéagineux qui captent l'azote de l'air et le rejettent dans la terre! Bref, réapprendre le magnifique métier de paysan.

Bonjour. Je n'ai pas encore pu lire votre livre mais vous semblez tirez à boulet rouge sur le modèle agricole français. Je connais bien le monde agricole pour y avoir occupé un emploi de saisonnier (pour payer mes études). C'est un métier complexe et dur que l'on ne maîtrise pas en visitant quelques exploitations par ci par là... Rappelons quand même que le système actuel a été mis en place après la seconde guerre mondiale, à une époque ou le rendement en blé plafonnait à 10 quintaux hectares, et ou on ne mangeait pas à sa faim (le pain était rationné à l'époque). L'apport des engrais et autres produits phyto, ainsi que la génétique a permis qu'aujourd'hui on ne manque de rien. Quel modèle pensez-vous être le meilleur (tout bio, agriculture raisonnée...) ?
Dunga

Cher Dunga, je n'ai pas visité "quelques exploitations par ci par là" mais réalisé deux ans d'enquête dans ce milieu en me rendant sur le terrain, en y restant de longs mois et en rencontrant de (très) nombreux interlocuteurs. Quand vous lirez mon livre, vous verrez que je rappelle que le système productiviste actuel a été mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour répondre à la pénurie alimentaire. Nous n'en sommes plus là aujourd'hui, nous (pays riches) sur-produisons pour mieux pouvoir gaspiller. 50% de ce que produisent les pays riches part directement à la poubelle. Dans le même temps, le système que nous avons mis en place paupérise les pays en voie de développement puisque nous leur demandons d'abandonner leurs cultures vivrières afin de produire pour nourrir notre bétail... Ce faisant, nous exposons nos paysans aux fluctuations des marchés mondialisés. Vous n'êtes pas sans savoir que nos paysans traversent une crise très dure aujourd'hui, qu'ils ne gagnent plus leur vie, qu'ils sont dans un profond désarroi et qu'ils tombent malades des pesticides qu'ils épandent. Ce système nous coûte 57 milliards d'euros de subventions au niveau européen, ce à quoi il faut ajouter le coût de la dépollution de notre environnement et la facture de santé publique: explosion des cancers environnementaux et de l'anti biorésistance. Alors oui, je pense qu'il est urgent de revenir à un peu plus de raison.

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Manger peut-il nuire à notre santé? C’est le titre d’un documentaire diffusé mercredi 16 février sur France 3 et réalisé par Isabelle Saporta, journaliste, qui publie ce mois-ci «Le Livre Noir de l’agriculture. Comme on assassine nos paysans, notre santé et l'environnement» (Fayard). Pendant deux ans, elle a parcouru les campagnes françaises et démontré l’absurdité du système d’agriculture intensive.

Manger une pomme, habitude alimentaire a priori saine, devient ainsi beaucoup moins rassurant lorsqu’on apprend que les producteurs les aspergent de 26 traitements avant de les cueillir et que l’on retrouve cinq résidus de pesticides différents lorsqu’on les analyse. Avec quelque 76.000 tonnes de pesticides utilisés par an, la France est le plus gros utilisateur en Europe. Et la moitié des antibiotiques de France serait consommée par des porcs.

Déjà auteur de «Ne mâchons pas nos maux. Consommons autrement pour vivre mieux» (Robert Laffont) sur la malbouffe, Isabelle Saporta a longtemps préparé les émissions de Jean-Pierre Coffe «Ça ne se bouffe pas, ça se mange» sur France Inter.

Elle était l’invitée de la rédaction. Elle a répondu à vos questions sur l’agriculture française, la dérive du système de production intensive et votre alimentation ci-dessus.

M.B. avec A.C.

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