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"Le peuple libyen n'a plus peur"
Sliman Bouchuiguire, Libyen, exilé en Suisse et Secrétaire général de la Ligue libyenne des droits de l’Homme, répond aux questions de Youphil sur la situation en Libye.
Youphil: Depuis le début de la manifestation le 17 février, combien avez-vous comptabilisé de victimes? Comment êtes-vous informés de la situation sur place?
Sliman Bouchuiguire: Je viens d’avoir mon frère au téléphone. Il est basé à Tripoli. En ce moment, la situation est plus calme qu'hier. Il n’y a pas de mouvement et pas trop de tirs.
Nous n’avons aucun bilan définitif concernant le nombre de victimes. Mais hier matin, nous estimions à 184 le nombre de morts. C'était avant les répressions les plus violentes: je ne peux confirmer ou pas les rumeurs de bombardements depuis les avions, mais je sais qu’il y avait des tirs. Depuis, nous estimons qu'il y a près de 450 morts.
Nos informations proviennent de la famille, nos oncles, nos tantes, nos cousins, restés en Libye. D'un réseau que nous avons sur place. Mais aussi des sites Internet et des blogs disponibles de Libyens sur place ou exilés.
Youphil: Que peut faire la communauté internationale face à la situation? Quels recours a-t-elle?
S.B.: Quand vous dites "communauté internationale", je pense à deux aspects: les gouvernements et la société civile. Le peuple libyen se sent délaissé par les gouvernements occidentaux. Ils ont mis beaucoup de temps à réagir. Il a fallu attendre le massacre d’hier [le 21 février, ndlr] pour voir quelques déclarations officielles. Cela souligne surtout la carence et le peu d’intérêt des Nations unies pour les Libyens. Il me semble que le Conseil de sécurité se réunit aujourd’hui. C’est un peu tard. S'ils avaient fait cela avant, des morts auraient pu être évités. Mais maintenant, on n'attend pas seulement des déclarations, il faut qu'ils exercent des pressions sur le colonel Kadhafi.
Youphil: Ont-ils vraiment le pouvoir d'exercer ces pressions?
S.B.: Oui, avec des déclarations. Mais il faut surtout envoyer de l’aide humanitaire maintenant. Les hôpitaux manquent de sang et de médicaments. Une intervention humanitaire est la priorité. Les gouvernements sont en mesure de le faire en même temps que leurs déclarations.
Au niveau de la communauté internationale civile, beaucoup d’internautes du monde entier soutiennent le peuple libyen à travers des blogs et leur donnent des méthodes pour contourner le blocage d’Internet. La Libye est un trou noir géopolitique. Très peu de personnes connaissent le pays et son peuple. Cela a pris du temps avant que les gens se mobilisent et manifestent un intérêt, mais c’est le cas maintenant.
Youphil: Quel rôle peut jouer l’Afrique?
S.B.: Les institutions régionales ont effectivement une responsabilité et doivent prendre acte de la situation sur place. La Commission africaine des droits de l’Homme devrait faire une déclaration pour dire que c’est inacceptable. L’Union Africaine a aussi une responsabilité. Ce qui se passe n’est pas tolérable.
Youphil: Quelle est la place des droits de l’Homme en Libye?
S.B.: Ils ont atteint un niveau de précarité rarement égalé! Tout le monde a pointé ou pointe encore du doigt les défaillances au niveau des droits de l’Homme en Tunisie, en Algérie, en Egypte ou encore au Maroc. Mais par rapport à la Libye, ces pays sont le paradis des droits de l’Homme!
Nous avons des milliers de prisonniers politiques, de torturés. La police secrète est partout. Les ONG dénoncent régulièrement cela. Chaque fois qu’il y a un classement, la Libye est en bas. Cela ne changera pas tant que Kadhafi restera au pouvoir.
La situation est précaire et très frustrante pour les Libyens. Ce qui est frustrant surtout c’est de voir des chefs d’Etat signer des contrats avec le colonel Kadhafi, dérouler le tapis rouge, promouvoir les droits de l’Homme mais accepter des transactions économiques avec des chefs d’Etat qui ne les respectent pas. Si encore le peuple libyen en voyait les résultats. Si encore, on construisait des écoles, des hôpitaux… Mais le peuple libyen n’a rien de cela, pas un centime. Il y a de très grosses carences dans les secteurs de l’éducation et de la santé dans le pays.
Youphil: Pensez-vous que le colonel Kadhafi peut quitter le pouvoir comme les présidents Ben Ali ou Moubarak? Quelles sont vos craintes?
S.B.: Oui, je pense qu’il partira. Tout dépendra de cette après-midi. Des manifestations doivent avoir lieu malgré la répression d’hier [le 21 février, ndlr].
D’après ce que je comprends, le peuple Libyen n’a plus peur maintenant. Mais je pense que le colonel Kadhafi va lancer la politique de la terre brûlée: plus il fera souffrir le peuple, plus ce dernier le regrettera s’il part. Cela correspond aux méthodes des impérialistes utilisées en Afrique avant leur départ.
>Mise à jour: Le porte-parole qui a été interviewé, a demandé à ce que son nom n'apparaisse pas. C'est donc celui du Secrétaire général de l'association qui est cité.
