PATRICK OLLIER, LE COUREUR DE FONDS LIBYENS
Depuis près de dix ans, le compagnon de Michèle Alliot-Marie est l'interlocuteur privilégié de Tripoli. Et son rôle en Libye va bien au-delà de ce qu'il reconnait publiquement.
À propos de l'auteur
Jeune journaliste nourri au grain de l'Internet mondial, je délaisse le LOL cinq fois par semaine pour étudier les implications géopolitiques du web. Je collabore également à Slate.fr et Technikart. Disclaimer: je porte des chemises à carreaux.
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Les Anglo-saxons savent mettre leur diplomatie au service de leurs entreprises. Nos fonctionnaires en sont loin.
Patrick Ollier – l’auteur de cette phrase – pourrait faire figure de transfuge dans la diplomatie rêvée par Nicolas Sarkozy, celle qui refuse “les corps repliés sur eux-mêmes“. Président de la commission des affaires économiques depuis 2002, le compagnon de Michèle Alliot-Marie est l’infatigable “Monsieur Libye” du gouvernement français. En une décennie, celui que Mouammar Kadhafi appelle “[son] frère” a joué les missi dominici entre Paris et Tripoli, visitant en privé le Guide de la révolution pour appuyer les entreprises françaises.
Mis en cause dans le sombre épisode tunisien impliquant MAM, POM (le petit surnom dont une partie de la presse l’a affublé) se fait discret depuis que la Libye s’est embrasée. Il y a quelques jours, Libération est revenu sur les carnets du général Rondot, le conseiller au renseignement et aux opérations spéciales (CROS) du ministère de la Défense impliqué dans l’affaire Clearstream. Dès 2004, le maître espion évoque la “compromission de POL [son autre diminutif, ndlr]” et y adosse quelques démocraties régionales: “Irak, Libye, Syrie”. En creux, certaines sources suggèrent qu’un ancien de la DGSE, reconverti dans la sécurité de Thales, “serait à l’origine d’une campagne anti POL-MAM”.
L’ami encombrant
Aujourd’hui, sa relation quasi-intime avec le régime du “Guide” semble en gêner certains, jusque dans les rangs de l’UMP, y compris les plus proches. Nommé ministre des relations avec le Parlement en novembre 2010, il a dû abandonner son fauteuil de président du groupe d’étude à vocation internationale (GEVI) sur la Libye, un groupe d’amitié à l’intitulé moins enthousiaste, créé à son initiative. Vacant depuis plus de trois mois, le poste n’attirerait pas beaucoup de volontaires, et l’UMP ne se presse pas pour désigner un successeur potentiel. De nombreux membres présidant déjà d’autres groupes du même type (Jean Roatta pour le Maroc, Olivier Dassault pour les Émirats arabes unis), la liste des candidats se réduit, et l’exhumation des déclarations fracassantes de POM pourrait prolonger le statu quo.
Le 12 décembre 2007, deux jours après que le colonel Kadhafi a planté sa tente dans les jardins de l’Hôtel de Marigny, Patrick Ollier, qui était sous le grand chapiteau, vient plaider la cause de son ami sur Europe 1. En quinze minutes d’entretien, alors que même Jean-Pierre Elkabbach commence à montrer les dents, il évoque le dossier des infirmières bulgares, dont la libération est intervenue en juillet de la même année.
Il y a “beaucoup travaillé”, mais nie en bloc toute compensation en nature, et notamment en armes, et plus précisément en missiles Milan. A ses yeux, il n’y a “pas de prime, seulement une normalisation”. En tout, il concède s’être rendu une dizaine de fois sous la tente de Syrte entre 2003 et 2007, mais reste évasif sur son rôle. “Je ne suis pas qualifié pour parler des contrats”, soutient-il, en regrettant que la France ait été “trop timide vis-à-vis de la Libye”. “Les mentalités changent, les dictateurs sautent, la démocratie revient”, énonce-t-il en guise de conclusion, sans réaliser la prémonition.
Pour parcourir la Jamahiriya, Patrick Ollier peut déjà compter sur un avion d’Aziz Miled (l’homme d’affaires voyagiste). En 2002, comme le confirme à OWNI une source proche des milieux économiques locaux, l’homme d’affaires tunisien a mis un appareil à disposition de Libyan Airlines, pour relier Tripoli, Benghazi et Syrte, équipage francophone compris. Le 6 mars 2003, Ollier s’entretient personnellement avec Kadhafi sur la coopération euro-méditerranéenne. Les 24 et 25 novembre 2004, lors de la visite officielle de Jacques Chirac en Libye, il joue les éclaireurs pour les entreprises d’armement qui veulent profiter de la levée de l’embargo. “Il est très actif sur ces dossiers”, confesse l’ancien cadre d’un poids lourd du secteur.
Quand Alliot-Marie était à la Défense [entre 2002 et 2007, ndlr], elle s’appuyait énormément sur lui pour préparer le terrain. Il fournissait des recommandations et prenait beaucoup de notes.
Nucléaire civil et contrats d’armements
Dans ces conditions, c’est “l’Africain” qu’apprécie tant Kadhafi qui élabore le voyage de MAM les 4 et 5 février 2005. La raison? Les militaires libyens passent en revue leurs équipements militaires, envisagent de nouveaux achats, et la France ne veut pas louper le coche, alors même que le Secrétaire d’État adjoint américain William Burns a pris un coup d’avance en mars 20041. Sur place, la ministre de la Défense est accompagnée de feu André Laronde, archéologue et fondateur de l’association France-Libye… dont Patrick Ollier est le vice-président.
En janvier 2006, il s’invite encore dans la petite délégation française emmenée par Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères de l’époque. De tous les entretiens, y compris ceux tenus en comité réduit, il consigne le moindre élément. Trois mois plus tard, il annonce lui-même un protocole d’accord franco-libyen dans le domaine du nucléaire civil. (le régime ayant renoncé à son programme de production d’armes de destruction massive, les autorités françaises l’auraient subitement trouvé fréquentable) “Tripoli veut retrouver sa place dans le concert des nations”, fait-il alors savoir, dans un vocable qui n’est pas sans rappeler celui d’Edmond Jouve, éminent spécialiste de la vie politique libyenne et directeur de thèse d’Aïcha, la fille de Mouammar Kadhafi. Soucieux de ne pas se mettre en danger tout seul, Ollier insiste sur un accord “négocié d’État à État”, mais ne nie pas les dividendes que pourraient en tirer Areva à court terme. Il portera le projet jusqu’à sa signature, en 2008.
La Commission interministérielle française d’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) étudie un dossier pour la vente d’hélicoptères Tigre en juillet 2006? Patrick Ollier est encore de la partie. “MAM a personnellement porté l’affaire, mais elle avait déjà été longuement briefée par son compagnon”, confie une source proche du dossier.
Le 23 octobre 2010, à quelques jours de son entrée au gouvernement, l’endurant “go-between”était encore à Tripoli pour signer une déclaration d’intention relative à un partenariat stratégique dans les domaines du nucléaire, de la formation et de la santé. POM est aujourd’hui un homme fragilisé. Ce mercredi 23 février, quelques heures après le discours erratique et halluciné de son ami colonel, le coureur de steeple a ralenti la cadence: il s’est discrètement éclipsé du Conseil des ministres.
* Contacté par OWNI.fr, le cabinet de Patrick Ollier n’a pas souhaité donner suite à notre requête. “On ne va pas faire comme au ministère des Affaires étrangères”, m’a-t-on expliqué.
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Crédits photo: Flickr CC elitatt, Abode of Chaos
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