http://www.rue89.com/2010/12/30/agressee-ma-banale-soiree-dans-le-commissariat-de-mon-quartier-182909
Les faits que je m'apprête à vous raconter n'ont absolument rien d'exceptionnels, mais c'est justement leur banalité qui m'exaspère.
Je rentre chez moi mardi soir, heureuse à la perspective de la soirée qui m'attend. Il est 18h50 et je marche rue des Haies (Paris, XXe) quand, à l'angle de la rue Buzenval, un type complètement enragé et aux yeux exorbités m'attrape par le bras en hurlant que si je ne lui donne pas mon argent, il m'explosera sur le crâne la bouteille de bière qu'il tient à la main.
Les premières secondes, je crois à une blague. La rue est passante, plusieurs personnes nous croisent sans s'arrêter. Mon agresseur se met à vociférer avec une agressivité folle. Quelques badauds s'arrêtent pour regarder la scène, tranquilles, comme s'il s'agissait d'une représentation. Je finis par trouver un billet et le tends au type. Lorsque je me retourne pour m'éloigner, il lance sa bouteille qui me frôle et s'explose au sol.
Bon décidément, ce n'est pas mon soir…
Un peu secouée par la violence de l'événement et la passivité de mes contemporains, je rentre dans le café en face duquel la scène vient de se dérouler et je demande au patron de me prêter son fixe pour contacter la police. Refus. Bon… Décidément, c'est pas mon soir…
Je sors du bistrot. Les témoins de la scène viennent vérifier que je suis toujours entière et m'informent qu'ils connaissent mon agresseur car il a l'habitude de passer ses journées dans le square d'à côté.
J'essaye de joindre le 17.« Ici police secours. Pour une urgence, ne quittez pas, un opérateur va vous répondre… » Au bout de plusieurs minutes à écouter l'insupportable messagerie vocale, n'ayant plus de batterie ni d'espoir, je raccroche et décide de me rendre au commissariat qui est à cinq minutes de marche, pensant qu'il s'agit du moyen le plus rapide pour avoir affaire aux forces de l'ordre.
En chemin, mon mari me rejoint et nous entrons ensemble dans le commissariat qui se trouve rue Saint-Blaise.
« Il ne sert à rien de porter plainte »
Lorsque j'explique ce qu'il vient de se passer à l'agent présent, il me fixe, comme déconcerté, d'un air hésitant entre l'embarras et le mépris. J'ai tout d'un coup l'impression d'être entrée dans une boucherie pour demander de l'huile de vidange. Zut, est-ce que je me serais trompée de porte ? Je relis deux fois les mots qui figurent sur son uniforme : « Police nationale ». Rassurée, je lui demande ce que je peux faire.
Il me renvoie la question. Heu… eh bien, c'est-à-dire que n'étant certainement pas là pour refaire la plomberie ou bien pour apprendre à faire les clafoutis, je suppose que le plus pertinent serait de porter plainte …
Manifestement irrité, le policier souffle et m'explique qu'il ne sert à rien de porter plainte, que de toute façon le dossier sera classé, que ça fera juste de la paperasse en plus. Je le regarde, un peu surprise quand même.
Il s'impatiente davantage, se lançant dans des explications très confuses d'où sortent des expressions telles que « main courante », « radio », « patrouille », le reste étant complètement inintelligible.
Mon mari et moi (qui pourtant avons chacun un master d'ethnologie et sommes coutumiers des langues et coutumes exotiques) lui faisons remarquer que ce qui vient de sortir de sa bouche n'est pas compréhensible par le commun des mortels.
« Si madame veut porter plainte, vous allez portez plainte ! »
Son irritation s'accroît et il me demande de passer dans un bureau.
Devant son manque de collaboration, je finis par lui dire que si porter plainte est inutile, et bien je vais m'en aller, mais il m'en empêche, me disant avec un dédain inouï : « Non, non, non, si madame veut porter plainte, vous allez portez plainte ! »
Le ton monte, je lui dis que ce n'est pas à moi de lui dire comment faire son métier, ce à quoi il répond en me faisant comprendre que si je continue à lui parler comme ça, il va m'arriver des bricoles. Je crois même que je préférais encore la compagnie de mon agresseur. C'est la journée internationale des demeurés ou quoi ?
Je finis par comprendre qu'il aurait préféré que je fasse une déclaration en main courante ce qui, si j'ai bien compris, aurait permis de lancer un appel radio pour retrouver mon agresseur… Soit, si l'on m'avait expliqué le problème clairement depuis le début, ça aurait certainement été plus efficace de procéder comme ça, mais étant donné que je suis là depuis vingt minutes et que je suppose que ce cher voleur ne s'est pas assis au coin de la rue en attendant que les flics viennent le cueillir, ça me semble un peu tard …
Il n'y a pas mort d'homme, me direz-vous
Il est 19h50. Le gardien de la paix regarde son iPhone. Il n'a qu'une envie, c'est de partir… Moi aussi.
Sa collègue me conduit dans le bureau d'à côté pour l'identification sur leur fichier Canonge. La description que je donne fait apparaître plus de 200 personnes répertoriées. Elle change alors l'un des traits descriptifs pour qu'il n'y en ait plus que seize.
Ironie du sort, sur les seize portraits, je reconnais l'une des personnes qui passe ses nuits à dealer juste devant le commissariat -ce n'est un secret pour personne dans le quartier, mais comme m'en informe le policier : « Ici, c'est un commissariat administratif, pas un commissariat d'intervention ! »
Evidemment, me direz-vous, il n'y a pas mort d'homme.
Je me suis en tout cas plus vite remise de l'agression dont j'ai été victime que du mépris des fonctionnaires dont la fonction est justement de « concourir à la garantie des libertés et à la défense des institutions de la République, au maintien de la paix et de l'ordre publics et à la protection des personnes et des biens. »
Photo : dans le commissariat du Xe arrondissement de Paris, en février 2009 (Audrey Cerdan/Rue89).
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samedi 1 janvier 2011
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