Antoine Sfeir
Cercle d'Etude de Réformes Féministes
Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
INTERVIEW DE ANTOINE SFEIR
Antoine Sfeir est rédacteur en chef de la revue « LES CAHIERS DE L'ORIENT », auteur de :
- « Les réseaux d'Allah »
- « Dictionnaire mondial de l'islamisme » (sous la direction de)
CERF:
Que pensez vous du concept de « choc des civilisations »
Antoine Sfeir :
Il n y a pas de choc des civilisations, mais un choc des cultures. Le drame de l'islam sunnite est que l'exégèse - l'interprétation - s'est arrêtée : le texte est figé et il est interdit d'y toucher car c'est la parole divine dictée par l'ange Gabriel à Mahomet. Toute volonté de réforme se heurte l'accusation de blasphème. Souvenons-nous qu'il a fallu des siècles à l'Occident, pour arriver à ce qu'il est aujourd'hui.
Pourtant, au Proche-Orient (en Égypte, au Liban, en Syrie, en Palestine) il y avait déjà des femmes électrices, magistrats, éligibles, député, ministres, avant même que les femmes françaises ne votent. Une régression s'est produite depuis. Ce phénomène découle d'une responsabilité occidentale réelle. Dans les années 1950, le monde arabe avait deux modèles possibles de société et de culture: d'un côté Nasser et de l'autre, l'Arabie séoudite. Nasser voulait créer un Etat sur le modèle occidentale, un Etat-nation ; l'Arabie séoudite proclamait sa volonté d 'u l'islam universel et défendait son modèle de société théocratique L'Occident (la France et la Grande Bretagne), en déclenchant une guerre mercantile, en 1956, et en refusant d'aider l'Egypte révolutionnaire jettera Nasser dans les bras des Soviétiques. L'année suivante, les Américains soutiendront le modèle séoudien, à cause de ses 100 milliards de barils de pétrole, et Nasser sera mis au banc du monde occidental. En choisissant l'Arabie séoudite, ils vont choisir l'islamisme, et à partir de ce moment-là, ce dernier va enregistrer des victoires répétées. Nasser représentait sinon le laïcisme, du moins la sécularisation des pouvoirs publics et de la société. Après lui, son successeur comme les autres chefs d'Etat arabes feront alliance avec les islamistes. Voilà pourquoi cette région a reculé sur les plans des valeurs.
En France, on est allé chercher une main-d'aeuvre non qualifiée dans les « bleds ».. Le contrat était clair : «Messieurs vous venez, vous travaillez et vous repartez ». Dans leur pays d'origine, il était normal qu'ils aient trois ou quatre épouses. Or en 1971, le regroupement familial est voté, il est appliqué à partir de 1974 : dés lors arrivent la première, la deuxième, la troisième, voire la quatrième épouse. Pourtant la première génération d'immigrés ne pose pas de problèmes, la deuxième non plus. Une intégration socioprofessionnelle s'opère, on assiste à la création de petites et moyennes entreprises par les jeunes et l'école devient un creuset d'intégration pour les enfants. C'est la troisième génération qui pose des problèmes. Pourquoi ?
Dans un premier temps, on avait assisté à une volonté de ressemblance. C'est anecdotique peut-être, mais Mohamed va devenir Momo, Nabil Nab, Rachid, Rad...
A la pré-adolescence, la différence serait dans le regard de l'autre. Le constat n'est plus « tu es Français et autre chose », il devient « tu es Français mais autre chose... » : mais musulman, Algérien, Tunisien, Marocain... », et ils veulent savoir pourquoi....
La première rébellion se produit alors à l'égard du père et du grand-père qui ont occulté leurs racines car, pensant bien faire, ils voulaient que leurs enfants s'installent en France. C'est là la première déstructuration identitaire.
Vient ensuite la deuxième déstructuration qui est familiale : on inculque aux enfants l'idée que l'élément central est le pouvoir patriarcal, le père et le grand père, mais ils s'aperçoivent que c'est faux, que le pouvoir du savoir prend la place du pouvoir patriarcal. Qui détient le pouvoir du savoir ? La fille. C'est elle qui devient l'interlocutrice de la sécurité sociale, de l'administration fiscale, elle réussit à l'école, elle réussit à l'université et, pour comble, elle trouve du travail. Les femmes, devenant un vecteur d'intégration réel, sont les cibles des islamistes.
Le jeune homme, lui, moins mûr, décroche souvent. En essayant de si restructurer, â la fois aux plans identitaire et familial, il décide de redécouvrir l'islam. C'est dans cette démarche qu'il peut tomber sur un islamiste. Il peut aussi, tout simplement, basculer dans la délinquance, en cherchant à équilibrer le pouvoir du savoir par le pouvoir de l'argent, de l'argent rapide. Khaled Kelkal n'était qu'un délinquant. En prison, il a rencontré un imam qui a prétendu le ré-islamiser en un mois de temps. Des filières islamistes existent toujours dans les prisons car l'État n'a pas pris les choses en main.
C : Les islamistes disent que l'intégration est impossible, parce qu'il aurait des valeurs différentes en islam. Qu'en pensez vous
S : Les islamistes ne veulent pas que l'intégration soit possible, c'est pourquoi ils insistent sur les différences. Ils disent « On peut être laïc, mais ne touchez pas â notre religion », ce qui est contradictoire. Ils disent également qu'ils peuvent être citoyens, mais ils n'ont pas compris ce qu'est la citoyenneté, celle qui transcende l'appartenance identitaire, communautaire et régionale.
C : Quel est le point théorique sur lequel vous êtes en désaccord profond avec ce qu'écrivent les islamistes ?
S : Tout d'abord lorsqu'ils prétendent que l'islam est englobant, c'est à dire englobe à la fois la sphère privée et publique. Pour moi, le religieux ne doit pas intervenir dans la sphère publique, mais doit se restreindre à la sphère privée où ce que l'on fait ne regarde personne. Ensuite, quand les islamistes demandent que les élèves musulmans suivent des cours parallèles aux cours de philosophie, de biologie et d'histoire, afin qu'ils connaissent la réponse de l'islam à ces cours-là. Qu'est-ce donc que cette revendication, sinon du communautarisme ? Ce discours est très séducteur envers l'intelligentsia parisienne car il ne cherche pas à interdire....
Certains des « réformistes » disent que Mahomet, étant le dernier d prophètes, s'adresse à tous les croyants qui l'ont précédé et qui suivront : "la vocation de l'humanité étant de s'abandonner à Dieu, vous et moi sommes des musulmans qui s'ignorent". C'est la logique de ce discours : tout être humain doit un jour ou l'autre devenir musulman.
Les musulmans qui ne sont pas islamistes ont travaillé sur eux-mêmes ont puisé dans le Coran et dans l'islam une pratique et une véritable philosophie initiatique, et ceux-là sont majoritaires. Toutefois, si l'islam pris à la lettre, n'est pas intégrable, les musulmans le sont !
Aujourd'hui les problèmes de la communauté musulmane proviennent de la méconnaissance de l'islam par ceux qui tiennent les rênes du pouvoir au sein de la République.
C : En France il y a une dichotomie entre le droit et la morale, cette dichotomie existe-t-elle dans l'islam ?
S : Non, le droit musulman prend sa source dans le texte dogmatique, cela revient à l'englobant. Le droit s'inspire du dogme, de la morale musulmane est une morale universelle, également judéo-chrétienne ; les dix commandements sont des règles morales. A cet égard, il n'y a pas de dichotomie, mais une continuité, une filiation dans le Coran.
C: Dans les pays arabes il y a beaucoup de pauvreté, cette pauvreté pousse peut-être à l'islam : est-ce que la pauvreté n'est pas entretenue par les puissances arabes, utilisant les femmes comme « défouloirs » ?
S : Les régimes arabes sont tous quasiment soit issus de l'armée, soit régimes monarchiques. Pour résoudre le problème de la pauvreté, ils ont créé une classe moyenne, ils ont créé une classe moyenne solidaire du régime et placée sous sa protection paternaliste.
Quand à la femme, elle a une triple représentativité, elle est fille, épouse e mère. Fille, elle est instrumentalisée ; épouse, le regard porté sur elle est bien différent car elle est mère potentielle ; mère, elle est excessivement respectée, elle représente le noyau.
Cela dit, des évolutions sont en cours ; une jeune fille que les parents; quasiment analphabètes marient à 15 ans, sans aucune expérience de 1a vie, et se trouve répudiée à 30-35 ans avec 3 ou 4 enfants, elle est perdue. En revanche, une fille qui a fait des études universitaires, qui a un entourage éduqué, qui a quelques notions de droit, fera, elle, un véritable contrat de mariage -- qui stipule qu'elle a le droit de demander le divorce et qui prévoit en cas de répudiation, d'obtenir de son mari la moitié de ses richesses. L'éducation est une garantie de survie...
C : Le nerf de la guerre, à savoir l'argent, vient-il d'Arabie ou d'Iran ou des deux ?
S : Il vient d'autres pays aussi : Emirat arabes unis, Pakistan, Algérie Maroc. Il vient de là où la République le permet. J'ai à ce sujet une anecdote. Un jour, un maire de mes amis vient me voir en me disant : je vais avoir la visite de deux présidents d'association algériens pour 1a construction d'une mosquée dans ma ville : que dois je faire ? Je lui propose d'assister à la rencontre et de me laisser parler. La rencontre a lieu. Après les félicitations pour leur belle initiative et pour la générosité du maire prêt à leur accorder un terrain pour leur projet, j'ajoute qu'il est bien entendu que le financement de la mosquée ne viendra pas de l'extérieur et qu'il ne viendra que de France. Le maire ne les a plus jamais revus !
C : Pouvez-vous expliquer pourquoi les associations islamistes occupent le terrain social ?
S : Quand on veut islamiser, il est plus facile de le faire par le biais de la famille, de l'école, du tissu associatif. Un jour, au Liban, je rencontre un chauffeur de taxi, Ali, qui semblait soucieux, j'engage la conversation et il me raconte que son fils est tombé malade, qu'il l'a emmené â hôpital, mais qu'il n'avait pas les moyens de le faire soigner. C'est alors qu'il a rencontré deux personnes qui lui ont prêté de l'argent. Deux mois plus tard, ces deux personnes lui rendent visite et lui disent qu'il serait bien que son fils aille à l'école coranique, puis deux mois plus tard, il: reviennent lui dire que ses deux filles devraient abandonner la mini jupe pour porter le voile etc. La pression devenait de plus en plus forte ; ils essayaient de l'islamiser par le côté social. Le seul moyen pour s'en sortir était de les rembourser... Ce qui fut fait grâce à une avance sur salaire Le lendemain Ali était devenu un autre homme.
En France, les islamistes utilisent d'autres moyens : l'aide à l'éducation, l'aide contre l'échec scolaire, l'aide aux soins...qu'ils essayent de monopoliser. Le faire par le biais d'institutions de la République serait un moyen pour couper l'herbe sous leurs pieds.
C : Que pensez vous du voile ?
S : Ceux qui veulent faire porter le voile vous disent que c'est une question religieuse. Donc à partir de là, cela ne regarde plus la République. La loi devra interdire tous les signes religieux, quels qu'ils soient : kippa, voile croix. Aucun signe extérieur d'appartenance religieuse afin de mettre tout le monde sur le même plan. Personne ne peut se sentir stigmatisé si la République applique ses lois.
C: Il semble que le voile soit un moteur de stigmatisation, dans les entreprises ou ailleurs, c'est un moteur à exclusion : certaines personne ont peur d'embaucher une femme voilée, un musulman, des gens qui on un nom arabe... Ne pensez-vous pas que les islamistes jouent là-dessus pour exacerber les tensions ?
S : Non seulement ils l'utilisent pour exacerber les tensions, mais pour amener petit à petit les musulmans dans un processus de victimisation, c'est une de leurs stratégies.
C : D'après vous l'histoire des religions doit-elle devenir une matière à part entière dans l'enseignement ?
S : Non, ce n'est pas une discipline particulière ; elle fait partie de l'Histoire et en tant que telle doit être intégrée à ce programme et non occultée. Cela fait parti des connaissances générales. Bien sûr, le programmes sont à revoir en ce sens.
vendredi 21 janvier 2011
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