Filtrage Internet: liaisons dangereuses? » Article » OWNI, Digital Journalism
Je crois que le filtrage peut s’avérer un outil utile dans un grand nombre de situations.
Ces mots, ce sont ceux de José María Gómez Hidalgo, directeur de la R&D chez Optenet, et depuis peu président du comité européen Filtrage Internet. Sur son blog personnel intitulé “Nihil Obstat” (“Rien ne s’y oppose“, formule latine employée lorsque l’Église autorise la publication d’un ouvrage religieux), il détaille ainsi les effets vertueux du filtrage en cas “d’addiction à Internet”, déclinée en “un attrait excessif pour les jeux vidéo, des préoccupations sexuelles et l’envoi [intensif] d’emails et de messages”.
Depuis le 22 novembre dernier, José María Gómez Hidalgo est à la tête de la réflexion européenne sur le filtrage. Seul candidat à la succession d’un autre dignitaire d’Optenet, sa nomination, réalisée dans une certaine opacité, a fait l’objet de nombreuses réticences.
Pourtant selon l’Afnor, le président d’un comité de normalisation n’a aucun pouvoir spécifique:
Il anime les débats, n’a aucun droit de veto, et sa voix ne pèse pas davantage. Son rôle est de chercher le consensus entre les différentes parties prenantes.
Voilà pour la théorie; côté pratique, sans grande surprise, le son de cloche est parfaitement différent:
Au cours de réunions qui ont fait suite à sa nomination, certains ont rapporté qu’il ne se contentait pas d’orienter les débats, mais qu’il éludait carrément certaines questions!
Tant et si bien que certains irréductibles ont annoncé jouer intentionnellement le jeu de la présidence, afin de forcer le trait et de faire remarquer sa partialité au sein du CEN, qui ne vérifie pas a priori les inclinaisons politiques et religieuses des membres de ses comités.
Un président dont l’inclination à diriger la manœuvre européenne d’une main d’Inquisiteur inquiète d’autant plus que les faits d’armes de la société qu’il représente sont particulièrement éloquents en matière de filtrage.
Firme d’envergure internationale, leader dans le secteur des logiciels de contrôle parental, Optenet a en effet fait quelques vagues avec sa conception toute particulière de ce qui doit rester hors de portée de nos chères têtes blondes. En Espagne, des sites abordant l’homosexualité auraient été exclus de la navigation sur certains ordinateurs publics utilisant la technologie d’Optenet. Même topo en France, où les listes développées par la société servent de référence au logiciel de protection parentale d’Orange, Securitoo, qui interdirait l’accès à des sites tels Act-Up, Les Chiennes de Garde, Ni Putes Ni Soumises ou empêcherait la lecture en ligne de Lolita de Nabokov, indique Kitetoa, qui s’est aussi penché sur l’affaire. Au passage, l’entreprise ne cultive pas vraiment une image d’enfant de chœur sur nos terres, puisqu’elle a également été accusée d’avoir volé les listes élaborées au sein de Xooloo, une entreprise française concurrente; jugement dont elle a fait appel.
Le cumul aurait suffi à nous alerter, mais il y a mieux: depuis sa création, Optenet est étroitement liée au mouvement intégriste catholique de l’Opus Dei. En Espagne, ses fondateurs sont issus de l’Université de Navarre, satellite revendiqué de l’organisation. La fondation de cette institution (Fundacion Universitaria de Navarra), est d’ailleurs actionnaire de l’entreprise à hauteur de 28 %.
En France, Libération pointait en 2007 les liens du fondateur de la filiale française, Alberto Navarro Mas avec l’Opus Dei: gestion des éditions Le Laurier spécialisée dans les publications de l’Opus Dei, interventions au sein de résidences universitaires financées par l’organisation, faisaient partie de ses activités annexes.
En 2002, relève Le Monde, le conseil pontifical déclarait:
Le contrôle parental devrait s’assurer qu’une technique de filtrage est utilisée sur les ordinateurs accessibles aux enfants [...], les jeunes se doivent — et ils le doivent également à leurs parents, leurs familles, (…) et enfin à Dieu — de faire un bon usage d’Internet.
Mission visiblement endossée par Optenet qui, par ses engagements passés, et par sa nouvelle maîtrise de l’agenda européen, se tient certainement en odeur de sainteté.
Mais la croisade n’est pas encore un succès. Si elle s’approche de son terme, la réflexion du comité de normalisation européen est toujours en cours. En outre, l’Afnor précise qu’elle aboutira non pas à une “norme”, mais à une “spécification technique”. Différence de taille, puisqu’elle implique que les différents États concernés gardent un ultime droit de regard, qui leur permettra de rectifier si nécessaire le tir.
Une consolation qui ne doit pas occulter l’urgence de la situation, car comme l’indique l’un des experts engagés aux côtés de l’Afnor, le déroulement du processus de normalisation, domaine anonyme et réservé aux experts, peut très vite s’emballer. Et engendrer une véritable aberration aux relents de censure, dont les tentacules viendraient embrasser l’ensemble du réseau européen.
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Illustrations CC: mlinksva, Mr. Enjoy, mava, stan et Andréia
A noter que la France se démarque sur ce point précis, dans la mesure où les différents accords et chartes conclus entre le gouvernement et les FAI ne laissent place à aucune ambiguïté: jamais la figure du parent n’est englobée dans le système de protection, ni même remise en cause par celui-ci, chaque document en appelant à la responsabilité de ce dernier. [↩]
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mercredi 29 décembre 2010
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