Ce que révèle vraiment WikiLeaks - INTERNET
Ce que révèle vraiment WikiLeaks
ECRIT PAR
Jean-Marc VITTORI
Editorialiste
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Oui, les révélations de WikiLeaks sont l'indice d'une formidable révolution. Non, cette révolution ne concerne pas seulement la diplomatie. L'énorme masse de télégrammes américains publiés par le site Internet est surtout le signe pathologique d'un changement majeur : l'avènement de la société de l'hyperinformation.
Jadis, l'information était rare, sa reproduction coûteuse, son transport hasardeux. L'imprimerie, le télégraphe puis Internet ont complètement changé le jeu.
Aujourd'hui, l'information circule quasi gratuitement et presque instantanément. Cette formidable accélération constitue la quatrième révolution industrielle après la domestication de l'énergie, les grands réseaux de transport et la production de masse. Mais comme les données circulent infiniment plus facilement, leur quantité explose. Nous ne rentrons pas seulement dans la société de l'information, mais aussi dans l'ère de l'hyperinformation (hyper : au-delà, en excès, au plus haut degré, selon « Le Petit Robert »). Et c'est ce changement-là que montre WikiLeaks. La vraie nouveauté, ce n'est pas la fuite intempestive d'un document. C'est que 251.287 documents confidentiels soient disponibles d'un coup. Et bientôt pour tous.
Evidemment, l'affaire des documents diplomatiques publiés par WikiLeaks relève d'une logique perverse. Elle est partie d'un vol interdit par la loi et son auteur sera sans doute lourdement condamné. Mais la diffusion en masse d'informations brutes autrefois privées ou difficiles d'accès se développe dans beaucoup d'autres domaines. La communauté académique est en pointe, comme elle le fut dans l'usage d'Internet. C'est le cas par exemple en biologie -le séquençage du génome humain est dans le domaine public. En économie, la mutation est spectaculaire. Les statistiques, qui étaient difficiles à consulter, sont désormais accessibles en quelques clics, tout comme les chiffres des grandes organisations internationales (ONU, OCDE, FMI…). Il n'y a guère que les Douanes françaises à pratiquer encore une politique malthusienne de publication, en espérant vendre leurs chiffres ! L'université américaine de Yale, qui établit chaque année un indice de performance environnementale (la France y est le grand pays le mieux placé), diffuse sur Internet sa base de données sur 163 pays pour que celui qui voudrait contester cet indice puisse calculer le sien. Volker Wieland, de l'université Goethe de Francfort, a même mis en ligne plusieurs modèles macroéconomiques rivaux afin que chacun puisse les faire tourner avec ses propres hypothèses pour les comparer !
Il s'agit là seulement du tout début. La pression monte sur les instituts statistiques pour qu'ils mettent à disposition des chercheurs non plus seulement leurs chiffres agrégés mais aussi les données individuelles qui servent à les calculer. Les as du marketing aspirent à constituer des bases de données toujours plus riches, au point parfois d'inquiéter le consommateur. L'intérêt d'une telle ouverture est évident dans un autre domaine : la santé publique. Si les chercheurs pouvaient travailler sur les données anonymes individuelles récupérées à partir des futurs dossiers médicaux personnalisés, il deviendrait par exemple très simple pour un chercheur de mettre en évidence le lien entre le recours au coupe-faim Mediator et des problèmes de valvules cardiaques…
Cette société de l'hyperinformation pose des questions redoutables. Certaines trottent déjà dans nos têtes à propos de Facebook : jusqu'où devons-nous déplacer la frontière entre données publiques et privées ? D'autres concernent la collectivité : comment rendre l'information totalement anonyme ? Au-delà, comment allons-nous vivre cette extraordinaire profusion d'informations ? Pour s'y retrouver, les chercheurs développent des outils nouveaux à base d'algorithmes (un mot étrange qui vient d'une expression iranienne signifiant « pays du Soleil »). Google n'est que le tout premier d'entre eux.
Après avoir creusé des mines de fer ou de charbon, les hommes vont fouiller d'immenses gisements de données (les Anglo-Saxons parlent de « datamining »). Ils devront développer de nouvelles compétences, travailler avec leur cerveau plus que leurs bras -et c'est là encore une autre révolution. Sans parler de la politique et du pouvoir, en partie fondés sur la détention et la rétention d'informations. Avec ou sans WikiLeaks, nous allons bien vers un monde radicalement nouveau.
lundi 13 décembre 2010
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