SAMBUCUCCIU D’ALANDU | Enciclopedia di a Corsica
SAMBUCUCCIU D’ALANDU
11/11/2010
Da Diunisu Luciani
(Traduction en français par Carole Bertrand) Mais qui fut vraiment Sambucucciu d’Alandu ? Un révolutionnaire, un chef de bande, un jaloux ambitieux ou encore un traître ?
La réputation flatteuse attachée à cet homme proclamé « précurseur d’une forme de socialisme rural » en réponse à la toute puissance des « maîtres-seigneurs » de son temps ne date que des récentes années 70 à l’époque de « Main basse sur une île ». Ceux de la ‘reconquête’ (‘u riacquistu’) ne retinrent alors des annales de l’histoire corse que les seules figures de Paoli, Sampieru et … Sambucucciu, cet individu hardi et preux parti braver les potentats locaux dont il triompha en 1358 et probable inspirateur de cette ‘Terre du Commun’ devenue emblématique d’un système d’organisation et de répartition juste et équitable vu comme un âge d’or de la corse. Cette perception idéale fut reprise par la suite dans les livres ‘Vert’ puis ‘Blanc’ du Front, dans l’ouvrage ‘Autonomia’ de l’ARC. Cette surexposition de Sambucucciu comme héros de la nation corse reflète le climat idéologique de ces années post-soixante-huitardes marquées par la décolonisation et l’utopie communiste. L’heure de ces premiers temps du nationalisme moderne était aux idées révolutionnaires, au socialisme s’érigeant contre la tyrannie capitaliste et contre les possédants. Et quelle plus opportune et prestigieuse figure que celle de ce Sambucucciu, pur produit de notre histoire corse qui aurait fait plier les petits seigneurs locaux pour instaurer un société ‘du Commun’. Nous le tenions notre héros ’socialiste’ de la première heure ! Et cette fable magnifique a séduit jusqu’aux autonomistes les plus modérés pour lesquels Sambucucciu personnifiait soudain cet homme vaillant en lutte contre feus les ancêtres des chefs clanistes de l’époque moderne ! D’ailleurs dans sa trilogie « Sambucucciu, Paoli et Sampieru » datant de 1975, le groupe Canta u Populu corsu le magnifie à son tour dans sa fameuse chanson « Simu Sbanditi ».
Cette belle promotion idéologique vient d’être récemment remise en cause par les explications de A.M. Graziani lequel précise que la formulation »La Terre du Commun » n’aurait jamais existé et serait née d’une confusion avec la formule italienne « la Terra del Comune » en référence à la Commune de Gênes sous la protection de laquelle les partisans de la rébellion conduite par Sambucucciu finiront par se placer.
Dès lors, il me semble que la figure de Sambucucciu n’interroge pas seulement l’histoire et sa narration, mais qu’elle questionne également les processus d’édification d’une idéologie.
L’histoire de Sambucucciu, chef de famille et autorité majeure de son village d’Alandu, prenant la tête, en 1357, dans la région dite ‘de l’en-deçà des Monts ‘( U Cismonte), d’un mouvement de sédition mené par Francescu d’Evisa, contre le joug des petits seigneurs locaux, nous est relatée dans les chroniques de Giovanni della Grossa. Cette jacquerie volontaire et hardie qui se solda par la mise à sac des biens et la destruction des châteaux de ces féodaux tous-puissants constitue un événement capital de l’histoire insulaire.
Succédant de peu à l’hérésie des Giovannali, ce soulèvement social historique, dont attestent les séquelles consécutives aux destructions de 1358 constatées sur de nombreux châteaux de l’époque est contemporain de semblables mouvements en Italie continentale où le peuple s’empara des rênes du pouvoir de plusieurs villes. La question sociale étant primordiale en ces temps troublés, la décision de Sambucucciu, confronté au retour offensif des seigneuries dans le Pumonte – i.e l’au-delà des Monts – d’en appeler à la République de Gênes pour solliciter son aide fit l’effet d’une bombe politique. Du nom de « deditio » de 1358 [ndlr : du nom latin de 'deditio in fidem' qui consistait en principe du temps des romains en la remise solennelle par la partie vaincue ou mise en situation d'infériorité de la totalité de ses personnes, de ses biens et de ses dieux à la discrétion du peuple romain ] le pacte ainsi scellé mit l’En-deçà des Monts sous protection génoise. Par la suite, Gênes manda un gouverneur pour l’ensemble de la Corse alors qu’auparavant son pouvoir ne s’étendait que sur les seules citadelles de Calvi et de Bonifacio. Ce traité de 1358 conclu avec le consentement du peuple totalement acquis à cette perte de souveraineté donna sa légitimité à la présence génoise dans l’ensemble de l’île. C’est pour cette raison que ni Sampieru, ni Paoli, ni Gaffori, n’ont jamais évoqué le souvenir de Sambucucciu qui fut tout sauf un exemple à suivre !
Sambucucciu, un traître ?
Ni plus ni moins renégat que tous les seigneurs de la Cinarca et d’autres avant et après eux qui tout au long de l’histoire insulaire s’adressèrent à des puissances étrangères pour régler des dissensions internes et parfois même des différends familiaux. Malheureusement pour Sambucucciu, son option eut des conséquences bien plus fâcheuses que d’autres pour l’ensemble de l’île.
Un révolutionnaire ?
Dans un contexte médiéval, ce terme me paraît inopportun et déplacé. Le système de gouvernement instauré après Sambucucciu basé sur la ‘vox populi’ (‘à populu è cumunu’) donna naissance à la caste des caporaux (‘i capurali’) laquelle une fois établie finit peu à peu par se substituer aux anciennes seigneuries de l’île à la nuance près de leur allégeance officielle à l’autorité génoise. Par la suite, à l’image de l’antique système féodal, ces caporaux eurent leurs propres vassaux eux-mêmes amis des chefs de la Cinarca ou même parents de ceux-ci par des liens matrimoniaux de consolidation.
Anciens chef de bandes, caciques de village ou encore anciens vassaux de seigneurs, les caporaux furent élus par la communauté pour les représenter auprès de l’autorité génoise. Dès 1511, après la défaite et la fuite des seigneurs, ils se substituèrent aux anciens notables de l’Au-delà des Monts. Le mode électif ne date pas de l’avènement de la ‘Tarra di u cumunu’. En effet l’élection des ‘Comtes de Corse’, premiers seigneurs de l’Ile , s’opérait déjà par le biais d’assemblées ou ‘vidute’ convoquant des milliers d’âmes qui procédaient ainsi au plébiscite de ce chef suprême de la Corse. Ce même mode de scrutin qui s’appliquait également lors de la nomination des chefs de seigneuries permit ainsi à Ghjudicci di Cinarca d’accéder au rang de seigneur d’un territoire s’étendant de Celaccia à Bonifacio avant d’être à son tour élu Comte de Corse en 1264.
Quant au sentiment national, seuls les seigneurs de la Cinarca peuvent se vanter d’en avoir eu la fibre. Vincintellu d’Istria, Arrigu di a Rocca, Raffè et surtout Ghjuvan Paulu di Leca, ce sont eux les seuls vrais héros de la Nation qui se sont battus pour sa souveraineté. Et si Paoli, Gaffori et Sampiero se sont recommandés de ceux-ci dans leur lutte de libération nationale, jamais ils ne se recommandèrent de Sambucucciu d’Alandu
L’assertion selon laquelle le groupe des seigneurs de la Cinarca aurait formé une élite coupée du peuple corse découle de l’analyse erronée d’une réalité bien plus complexe. Preuve en est cette ’solution finale’ échafaudée au début du 16e siècle par Gênes qui devait régler définitivement le problème corse tout en provoquant la chute et le démantèlement des seigneuries de Ghjuvan Paulu di Leca et Rinucciu di a Rocca par le biais de la Banque de Saint Georges qui fit purement et simplement chasser de leurs terres ceux des paroisses ou pieve restées fidèles à ces seigneurs. Les régions montagneuses et loyales du Niolu, de l’Altu Taravu et de l’Alta Rocca furent les premières à pâtir de cette ‘épuration ethnique’. Les notables et le peuple ne constituaient donc pas deux groupes séparés mais bel et bien une nation formée de toutes ses composantes en lutte pour la conquête de sa souveraineté.
Par conséquent, à mes yeux Sambucucciu n’a pas plus trahi la patrie que tous ces chefs féodaux qui firent appel à Gênes pour régler leurs guerres intestines sonnant ainsi le glas d’un monde, celui de la Cinarca, au profit d’une ère nouvelle sous la domination triomphante de la République ligurienne. Bien plus que des vicissitudes sociales de son époque, Sambucucciu est emblématique d’une société claniste que ses comportements dynastiques répétés de génération en génération conduisit à aliéner sa légitimité politique à des puissances étrangères.
Sambucucciu ne fut que la face mystifiée d’un changement sociétal abusivement comparé aux mouvements sociaux contemporains italiens, mais aussi un leurre abusivement agité par les nationalistes des années 70 dans leur quête frénétique d’un ‘pré-socialisme’ qui n’eut d’original que son nom.
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lundi 15 novembre 2010
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