TRADITION ET TRANSMISSION , U Ponticellu 2009 ‘L’archaique participe de l’anthropologie qui vise à une connaissance globale de l’homme’ selon Claude Levi Strauss . Chaque tradition fournit à des hommes appartenant à telle culture , telle époque , un miroir où ils peuvent imprimer un vivant reflet de leur être essentiel , parce qu’ils ont en eux l’empreinte de cette tradition , et que chaque tradition est une image véridique de l’homme éternel. On trouve la tradition à l’intérieur de l’homme , dans son être spirituel . Cette transmission de la connaissance n’est autre que l’initiation qui actualise un savoir que l’être possède virtuellement . L’initiation est ainsi l’accession à la tradition en soi , et dépasse le cadre de la tradition particulière qu’elle transmet . Ainsi en est il du chant grégorien qui lance ses plus profondes racines dans le « Chant de l’humanité » et dans les archétypes musicaux . L’archaisme permet d’être par delà tous les rôles et les masques du paraître car il permet l’expression d’une tradition primordiale : « Le centre du monde , c’est ce lieu insaisissable où les traditions prennent naissance , où converge ou d’où émane tout ce qui relève de la traditionalité » La mâturité de l’apprentissage au sein , ou mieux , au cœur de cette transmission induit une métaphore inédite , celle de l’ALCHIMIE dans la polyphonie. L’apprenti est une page vierge qui devient le receptacle de cette alchimie . Recevoir l’Archaisme se mérite , le chemin d’une vie , chemin silloné de sentiers infinis. Une Alchimie de soi , en soi , pour soi , et au-delà de soi ! L’Alchimie est une transmutation des métaux nobles , et , au-delà de cette métamorphose , elle induit une dimension philosophique et spirituelle . Au VIIIes Geber pose comme 1ere triade celle du corps , de l’âme , et de l’esprit .Nous la retrouvons dans la mâturité du chant polyphonique corse, tel que l’entend Jacky Micaelli , car le corps reçoit desconsignes précises , intégre une technique particuliére . En effet , Jacky Micaelli explique dans tous ses stages qu’il est dangereux d’aseptiser la pratique de cette tradition sous peine d’en perdre le sens , l’âme , car dans le sacré comme le profane les riucade sont souvent l’expression d’une émotion forte liée à l’histoire de ce chant . On peut ainsi exprimer le ‘pietoso’ dans le deuil , ou le chagrin de l’amour perdu , mais ce peut être aussi la fatigue d’un travail dur , de l’animal comme de l’homme . Quand il module son chant , l’homme émet un reflet sonore de son propre être . La polyphonie corse , comme tous les chants traditionnels , harmonise voix et corps pour que le chant sonne avec plénitude , puissance . Il s’agit moins de chanter « beau » que de chanter « vrai » . Un chanteur traditionnel utlise sa voix comme moyen , non comme une fin en soi . Il est donc nécessaire dans la transmission de passer par une redécouverte de la « vocalité traditionnelle , de l’ancrage corporel de la voix , et de la portée spirituelle de cet acte . Chanter avec son corps , c’est retrouver une force primale qui deviendra musique potentielle , noyau originel de toute mélodie . La polyphonie Corse se construit tout d’abord sur une voix archaique qui demande à chacun une recherche au plus profond de soi. Jacky a elle même pratiqué cet apprentissage pour comprendre comment on pouvait « faire sonner » le chant à 3 , la secunda qui mène le chant , la basse qui suit la secunda et qui tapisse l’harmonie de graves , et pour finir la terza qui ornemente autour de la structure établie par les deux autres voix . Jacky insiste énormément sur le danger de formater , d’aseptiser la tradition au fur et à mesure de la transmission car elle en perd son âme .Ces melismes ne sont pas des ornementations gratuites , esthetiques , elles traduisaient à l’origine la difficulté du quotidien , en faisant vivre la mule morte qui permettait de vivre ,la douleur de l’amour perdu et de celui qui attend sur son Ile la lettre qui lui rendra cet amour . Les mélismes donnent à voir des tableaux réalistes , des sentiments forts qui sont condamnés à disparaître s’ils sont vidés de leurs sens. Nous avons fait la démonstration du lien héréditaire entre le corps et l’âme évoquée par l’Alchimiste . S’entend ici l’âme d’une tradition , ce qui échappe à une relation rationelle mais reléve de la mémoire collective. Le Grand œuvre avait pour but d’obtenir la pierre philosophale , transmuter la Materia prima pour transformer des métaux vils en Or. Nous savons qu’il est audacieux , et même incongru aux yeux de beaucoup de filer cette métaphore , mais elle décrit de maniére imagée et symbolique le processus d’évolution aux prises avec l’apprentissage de la polyphonie corse . Une fois le corps en paix avec la technique , il s’agit d’avancer vers une forme de transcendance du chant par l’âme et l’esprit , ceci pris dans le sens artistique , afin d’atteindre l’émotion de l’interprétation. Interpréter ne signifie pas « jouer » , et c’est bien là le chemin intérieur que doit faire le chant afin de s’emparer de l’histoire de chacun , banale , et unique à la fois , pour en faire matiére artistique . Precisons encore ….Ce n’est pas l’ego qui se pare de mille feux , mais l’émotion , la matiére premiére personnelle qui se met au service de l’œuvre !!! Cette étape du travail de l’apprenti est infinie , car elle est la TRANSMUTATION dont parle l’Alchimiste . Le parcours , lorsqu’il est entrevu , est ardu et passionant car infini . Selon Mircea Eliade , cette notion dont l’origine se perd dans la nuit des temps et développe l’idée que ce processus de transmutation seraient les représentations des modalités des rites ancestraux , dans leur trame universelle :Torture – Mort initiatique- Resurrection . Nous donnons ainsi une dimension anthropologique à la pratique de cet art dans sa forme de transmission orale . La fusion qui fait naitre l’or du plomb ordinaire est l’instant unique où la polyphonie s’élabore malgré l’humain , malgré la raison , dans des harmoniques dont la verticalité donne le vertige , tout s’évalue et tout se dilue ….La technique , le souffle , et le temps lui-même : « Quand le feu se dévore lui –même , quand la puissance se retourne contre soi , il semble que l’être se totalise sur l’instant de sa perte et que l’intensité de la destruction soit la preuve suprême , la preuve la plus claire de l’existence .Cette contradiction , à la racine même de l’intuition de l’être , favorise les transformations de valeurs sans fin » G.Bachelard A Cumpagnia U Ponticellu Ponticellu
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