Manipulation, menaces ou cri de désespoir? La lettre qu'aurait adressée Yvan Colonna à l'un des membres du commando ayant assassiné le préfet de Corse Claude Erignac en 1998 sème le trouble à son troisième procès.
Ce courrier, écrit en corse, a été remis vendredi en fin de journée par le Directeur central de la police judiciaire, Christian Lothion, à la cour d'assises de Paris, qui rejuge pour la troisième fois Yvan Colonna, accusé d'avoir assassiné le représentant de l'Etat à Ajaccio le 6 février 1998. Un crime dont il se dit innocent.
La cour d'assises en a demandé une traduction officielle, qui lui a été remise lundi en fin d'après-midi. Cette lettre, datée du 19 décembre 2010, est adressée à Pierre Alessandri, condamné à perpétuité en 2003 pour l'assassinat du préfet.
Me Eric Barbolosi, avocat de M. Alessandri, a formellement démenti lundi que son client ait eu connaissance de ce courrier. "Il m'a demandé de le dire haut et fort", a déclaré l'avocat. "Il estime qu'il s'agit d'une manipulation grossière, qui ne profite ni à Yvan Colonna ni à lui", a-t-il ajouté à la presse.
Dans cette lettre (voir l'intégralité ci dessous), l'auteur accuse son ami d'enfance, Pierre Alessandri, de l'avoir lâché. "Tu as trahi 25 ans d'amitié sincère! Je me serais fait hacher pour toi".
Il l'exhorte à venir l'innocenter au procès, sinon "ce sera la guerre". "La 'guerre' dehors.. il y en aura pour tout le monde... Il faut que tu le saches... Tout le monde! Je suis clair!". Il l'appelle aussi à se montrer "convaincant" lors de son audition au procès. L'auteur du courrier demande à Pierre Alessandri de suivre "à la lettre" ses instructions et de "motiver" sa femme, Michèle Alessandri, venue témoigner la semaine dernière au procès.
"Cette lettre éclaire la personnalité d'Yvan Colonna", a déclaré à la presse l'un des avocats des parties civiles, Me Cathy Richard. "On peut y lire une forme de violence. C'est de la menace".
"Est-ce que c'est bien lui qui a écrit cette lettre", s'est interrogé de son côté Me Pascal Garbarini, l'un des défenseurs du berger de Cargèse. "On verra ce qu'il en est. S'il s'agit encore une fois d'une maladresse, mais je ne pense pas, ou du cri de désespoir de quelqu'un qui depuis douze années a eu sa vie brisée".
Trois membres du commando ont mis en cause Yvan Colonna durant leurs gardes à vue en mai 1999. Ils ont commencé à se rétracter en octobre 2000.
Dans la journée, la cour d'assises a entendu les journalistes de TF1 qui avaient interrogé Yvan Colonna avant sa cavale, le 23 mai 1999, juste avant qu'il ne prenne, selon ses termes, un "recul" de quatre ans.
Le procès reprend mardi matin. Le commissaire Christian Lothion, directeur central de la police judiciaire, qui a transmis la lettre à la Cour, est attendu à la barre mardi aprés midi. (Source: AFP, Reuters, AP)
La lettre d'Yvan Colonna à Alessandri
Fresnes le 19 décembre 2010
Je t’ai écrit cette lettre après la décision de « cassation », je voulais que tu l’aies rapidement mais il y a eu un contretemps, et j’ai été obligé de la recommencer…la voilà !
En juin… j’ai arraché la « cassation ». Personne ne l’attendait…personne ne l’espérait…et pourtant on l’a eue. Il t’incombera de témoigner à nouveau (à toi comme aux autres).
Quel supplice ! Quel châtiment ! Hein ?...Je dis cela qu’après le 27 mars et ma condamnation à perpétuité + 22 de sécurité…je n’ai rien entendu….je n’ai rien lu…je m’attendais à ce que tu fasses une lettre, à ce que tu « cries », manière ou d’une autre que j’étais innocent !
…mais… rien !...rien de rien !...et si je n’avais pas arraché la cassation ?...peut-être aurais-tu été très content !?...
« Lui » avec 22 de sureté… « Lui » considéré comme le « bourreau »…il serait le dernier à sortir…et moi je pourrai sortir plus vite en « conditionnelle »…je l’ai pensé et plus que pensé !
Malgré toutes les déclarations, toutes les promesses (à PINOCCHIO) tu n’as jamais fait ce qu’il fallait…
Des exemples en vrac :
-malgré le fait que je te l’ai demandé, tu as continué à ne pas vouloir répondre aux questions du procureur…c’est incroyable !
C’est ton procès ? Ou le mien ? Quel est le but ? Tu as oublié ?...
Le dur, il fallait le faire en garde à vue et après face aux juges…
-Tu m’as fait ta sortie : « c’était à lui de monter au feu et pas laisser monter OTTAVIANI et MARANELLI… » …. sans que nous ne soyons au courant…le résultat…nous n’avons pas pu réagir et les juges et les journalistes en ont profité (les seconds pour me faire passer …, en plus, pour un lâche !)
Je pourrais te parler de nombreuses choses… la lettre à Sté et ton explication « bâtarde »…le témoignage de ta femme, qui monte pleurer alors qu’elle ne risque plus rien… ce qui a été considéré par tous les observateurs (tous, tous dans les deux camps !), le peu de volonté, le peu de motivation de vouloir être « convaincante » !...
Alors…je vais être le plus clair possible…
Moi, j’ai toujours pris mes responsabilités…toujours…je n’ai jamais « signé » pour assurer vos « loupés » à tous (et peu importe si ce n’est pas toi qui a commencé à balancer !... rien ni personne ne t’obligeait à dénoncer mon nom, au contraire…)
Au tout début, toi et l’autre « merde » d’Alain (c’est le pire de vous tous !)…vous auriez pu me sortir…vous ne l’avez pas fait…cela vous convenait…j’en suis convaincu ! Persuadé !
Moi, je te considérais comme un ami….…mieux…un grand frère et un exemple…et tu m’as trahi et trahi 25 ans d’amitié sincère ! Je me serais fait « tuer » pour toi…et tu m’as balancé…tu as balancé ton ami ! N’oublie jamais ça (politique ou pas politique !...)…Sans compter que je ne vous aurais jamais laissé tomber….je ne suis pas un « enculé » !...J’ai cru que tu ferais le maximum…pour me sortir. J’ai fait confiance….mais je ne peux plus te faire confiance.
Aujourd’hui, il n’y a que deux solutions :
-soit tu fais tout pour me sortir ! (on verra après !)
-soit tu continues comme cela …avec ta manière de faire « ni blanc, ni noir » ! (nè carne, nè pesciu)
Alors…je te le dis…de manière solennelle…
« CE SERA LA GUERRE » !!!
La guerre au procès…il faudra que tu assumes ce que tu as été : « une balance » ! Tu m’as balancé, tu m’as sacrifié ! (je pense même que tu aurais aimé qu’ils me tuent les premiers temps où j’étais recherché puisque Marion avait dit « mort ou vif ! »…Je n’ai jamais fait la cavale au « Club Med »…la cavale que vous avez refusé de faire…tous….à commencer par cette saleté d’Alain !)
Et la guerre dehors….il y en aura pour tout le monde…il faut que tu le saches…tout le monde ! je suis clair !
Prends ça comme tu veux…des menaces ?...à moi ça me va !
C’est comme ça ! moi, j’assume. Je vais vivre avec ça…c’est ça et la haine contre les français qui m’a fait tenir. Si tu choisis cette solution….aies le courage de me le faire vite savoir que je puisse m’y préparer. (ça ne sert à rien de lancer des plans si tu restes sur ce que tu as fait jusqu’à présent !).
Si tu choisis la première solution, il va falloir que tu suives « à la lettre » tout ce que je te demanderais de faire….
Tu me le dois, tu le dois à mon fils, tu le dois à ma famille entière. (mais c’est à toi de choisir…)
Cela veut dire qu’il faut que tu sois « au top ».
MOTIVE !
CONVAINCANT !
Prêt à tout…et à faire la reconstitution (pour l’instant je ne te demande pas de prendre le rôle de celui qui a tué….personne ne te crois !...)
Mais, ça ne sert à rien de développer aujourd’hui….d’abord, il faut avoir ta réponse.
Tu as bien compris que dans un sens comme dans l’autre, il faut que tu sois franc et clair…
Soit c’est tout noir…soit c’est tout blanc !
Je t’informe d’avertir ta femme et les tiens pour qu’ils ne parlent pas (jamais) au téléphone, ni au parloir (ce serait considérer comme une volonté de me nuire à moi !)
Je te préviens aussi de motiver ta femme…parce que 10 ans après….et après ce qu’elle m’a fait…viens pleurer au tribunal…elle a peur d’ « eux »…(alors qu’elle ne risque plus rien)….cela me semble incroyable…
Pour la réponse, il faut que tu le dises à celui qui te donne cette lettre dans les 24 heures !
Oui… ou non !
Après…celui-ci (qui ne connaît pas le contenu de cette lettre) la brûlera devant toi !
C’est la dernière occasion de te racheter et de ne plus être encore un « allié objectif » de ceux qui t’ont condamné ! Et qui veulent me condamner à tout prix ! A toi de voir. En fonction de ta réponse, tu auras un autre message à partir de celui qui te donne cette lettre.
Celui qui te considérait comme un ami
Traduction établie par le journaliste Sébastien Tieri pour France 3 Corse Via Stella
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