jeudi 10 mars 2011

"Louis Renault et la fabrication de chars pour la Wehrmacht" Annie Lacroix-Riz

"Louis Renault et la fabrication de chars pour la Wehrmacht" Annie Lacroix-Riz

Le 13 juillet 2010, la Cour d’Appel de Limoges, saisie par deux petits-enfants de Louis Renault (sur huit), Hélène Renault-Dingli et Louis Renault, a condamné le « Centre de la mémoire » d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) à payer 2.000 euros aux plaignants. Elle a également exigé que fût retirée de l’exposition permanente (depuis 1999) une photo de l’industriel, entouré d’Hitler et Göring, leur montrant une Juvaquatre au salon de l’auto de Berlin de [février] 1939, avec cette légende : « Louis Renault présente un prototype à Hitler et Göring à Berlin en 1938 (sic) [...] Louis Renault fabriqua des chars pour la Wehrmacht. Renault sera nationalisé à la Libération. » Définir Louis Renault « "comme l’incarnation de la collaboration industrielle" » au moyen « d’une photo anachronique » dont la légende lui impute une « inexacte activité de fabrication de chars » constituerait une « véritable dénaturation des faits [...D]ans un contexte de préparation du visiteur à la découverte brutale des atrocités commises le 10 juin 1944 par les nazis de la division Waffen SS das Reich, [ceci] ne peut manquer de créer un lien historiquement infondé entre le rôle de Louis Renault pendant l’Occupation et les cruautés dont furent victimes les habitants d’Oradour-sur-Glane" »[1]. Le Monde Magazine du 8 janvier 2011 se fait l’écho de cette thèse dans un dossier de 5 pages intitulé : « Renault. La justice révise les années noires ».

Ainsi se précise à l’occasion d’une initiative « familiale » la vaste entreprise de réhabilitation de Louis Renault, et avec lui, du haut patronat français sous l’Occupation, relancée depuis les années 1990 par plusieurs historiens et publicistes[2]. Dans la dernière de ces hagiographies (2009), Jean-Noël Mouret, qui « se partage entre la communication institutionnelle et les guides de voyage », a cloné une série caractérisée par le recours aux témoignages postérieurs à l’Occupation jamais confrontés aux sources originales contradictoires, par la négation du sens de celles-ci dans les rares cas où il en est fait usage et par la philippique contre un PCF qui aurait été assoiffé de vengeance contre le malheureux industriel depuis l’entre-deux-guerres, et enfin capable de l’assouvir à la Libération : cette pieuvre, étouffant l’appareil d’État dans ses tentacules, plaçant partout ses pions, harcelant et manipulant ses partenaires gouvernementaux, serait la responsable de l’injustice commise contre Louis Renault ‑ iniquité soulignant l’illégitimité de la nationalisation de ses usines[3]. Thomas Wieder, après avoir en une demi-colonne esquissé le « désaccord » séparant « les historiens » (travaux les plus critiques omis[4]), accrédite la thèse « familiale » en interviewant longuement « Laurent Dingli, historien », mari d’un(e) des deux plaignants, auteur d’un Louis Renault (2000) auprès duquel l’hagiographie d’Emmanuel Chadeau (1998) fait figure d’ouvrage critique[5]. Selon ce petit-fils par alliance de Renault, docteur en histoire d’ordinaire voué au roman historique « moderne » (Colbert en 1997, Robespierre en 2008), « jamais Louis Renault n’a accepté de fabriquer ni de réparer des chars pour les Allemands »[6].

Le Renault d’avant-guerre

La Cour d’Appel de Limoges reproche au « Centre » d’Oradour d’avoir donné à une photo d’avant-guerre une légende portant en partie sur l’Occupation ou d’avoir choisi pour traiter de l’Occupation un document antérieur à cette période. En dépit de la pertinence de ce grief formel, le texte présentant le Louis Renault de l’Occupation comme conforme à celui de l’avant-guerre est historiquement fondé. La collaboration politique et économique de 1940 à 1944 poursuivit celle que Louis Renault, comme tout le grand patronat, avait nouée avec le Reich pré-hitlérien et hitlérien. C’est la volonté de la maintenir à tout prix, et en tous domaines, qui généra la défaite et toutes ses conséquences pour les ouvriers des usines Renault, pour le peuple français et pour d’autres : Blitzkrieg achevé avec la Débâcle française, Renault influa, comme tous ses pairs, sur la guerre à l’Est.

Avant le 10 mai 1940, Renault livra la guerre au seul ennemi intérieur, la conduisit avec acharnement contre ses propres ouvriers et opta pour la politique des bras croisés envers l’ennemi extérieur - le Reich et l’Axe Rome-Berlin. Il prépara, comme ses pairs, un plan de liquidation du régime républicain en finançant les ligues fascistes (parmi lesquelles les Croix de Feu du colonel de la Rocque) puis la Cagoule qui unit les factieux depuis 1935-1936. Il mit son veto à tout effort de guerre et prôna l’« entente » franco-allemande entre gens de bonne volonté, Hitler en tête. Il afficha un pacifisme antagonique avec son fort rentable allant « patriotique » de la Première Guerre mondiale et clama qu’on ne pouvait plus gagner d’argent qu’en fabriquant des véhicules de tourisme[7] : « les programmes de guerre ne correspondaient pas aux possibilités de nos usines et [...] les changements fréquents de ces programmes ne permettent pas de faire un travail sérieux », écrivit-il au président du Conseil (Daladier), le 8 novembre 1939[8]. Il s’entretint deux heures avec Hitler le 21 février 1935 à la Chancellerie du Reich[9], en 1938 et en février 1939 (objet de la photo), dernière rencontre suivie de l’adoption d’une formule assez connue de son personnel pour devenir son surnom, « Hitler-m’a-dit »[10]. Il aimait autant Mussolini et son « familier, M. [Giovanni] Agnelli », qui vint à Paris en décembre 1939, en pleine drôle de guerre, alors que l’Italie fasciste avait conclu le 22 mai une alliance offensive avec le Reich (le « pacte d’acier ») : le patron de la FIAT comptait « revenir au début de 1940 à la tête d’une délégation d’industriels italiens, pour jeter les bases d’une collaboration économique entre la France et l’Italie. »[11]. Les événements militaires et politiques se déroulant comme prévu, l’œuvre s’accomplit avec à peine un an de retard.

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