FUYEZ LA FRANCE !
J’ai décidé de tout quitter. La France surtout. On est foutu. Tout le monde le dit : journaux, radios, télévision, les gens dans la rue, mêmes les hommes et les femmes politiques de ce pays (qui sont théoriquement payés pour nous faire rêver et nous promettre que « nous allons sortir de la crise au prochain trimestre ») n’y croient plus : c’est vous dire !
On m’a sondé par téléphone l’autre jour. On souhaitait savoir « si j’avais le moral ». J’ai eu tellement peur de passer pour un con auprès de mon interlocuteur que j’ai répondu « non ». Je n’ai pas envie de faire partie d’une minorité et je suis bien content d’avoir constaté, en lisant la presse, que j’avais donné la bonne réponse.
On est foutu je vous dis et je n’ai guère envie de zinzinuler cette semaine. J’ai mis l’adagio d’Albinoni à fond dans mon bureau, j’ai baissé les stores et mon équipe est venue à tour de rôle afin de se renseigner sur les causes du mal qui fait rouler de grosses larmes sur mes joues complantées de poils bicolores. J’ai eu beau leur expliquer que la France est dans un cul de sac et que nous ne pourrons nous sortir de cette situation catastrophique sans verser de larmes et de sang, ils semblent étranger à ma peine et subodorent que je sois atteint par le delirium tremens. S’ils savaient… Fauchés en pleine jeunesse qu’ils vont être les pauvres naïfs ! Rouleaux compressés par le grand capital, ils ne survivront pas aux multiples maux qui frappent notre société tel le poing de Mike Tyson dans la face d’un enfant en bas-âge (l’image est assez inconvenante, j’en conviens, mais je m’en fous : on est foutu).
C’est le dernier débat de la primaire socialiste qui m’a submergé d’une vague de défaitisme. Un tsunami de désolation a emporté mes dernières illusions. Pourtant, j’ai l’habitude d’entendre, du matin au soir, une turlutaine de mauvaises nouvelles et je me croyais immunisé. J’étais averti que la France allait mal, que le prix du gaz allait augmenter comme jamais, que le TGV, les clopes, les sodas allaient connaître des hausses himalayennes, que le trou de la Sécu était abyssal, que des médicaments tuaient, que des enfants faisaient la loi dans certains endroits, que des supers flics étaient en fait des trafiquants de drogue, que l’OM avait encore perdu un match, qu’Anne Roumanoff sortait un nouveau DVD… mais je continuais à y croire. Était-ce mon éducation catholique qui me commandait de garder espoir ? Jésus Christ n’a-t-il pas dit que si nous croyions en Dieu, nous serions tous sauvés et que le royaume des Cieux nous appartiendraient ?
Et bien, je commence à douter de ce que Jésus dirait si l’envie lui reprenait de vouloir poser une semaine de vacances chez nous. A mon avis, il ferait une déclaration à l’AFP du style : « Je suis désolé mais je dois vous avouer que sur ce coup, mon Père ne pourra rien pour vous. La crise est trop grave… Je veux bien essayer de multiplier des pains et des poissons mais y’en aura pas pour tout le monde. Amen ».
Pourtant, lorsque je me suis installé devant l’écran de télévision qui est accroché sur le mur de la rédaction, j’étais prêt : positif dans mon humeur, un verre de Coca Zéro à la main, des chips mous disposés dans une assiette cartonnée et mes pieds sur la table basse, j’attendais que l’émission politique démarre. Et puis… les 6 candidats ont commencé à parler et j’en ai pris plein la tête. Ils avaient droit à 1 minute chacun au début de l’émission pour présenter leurs idées, mais quelle minute !
C’est le problème des primaires : vous avez 6 candidats qui vous dressent successivement un état de la France catastrophique. C’est à celui qui utilisera l’image la plus terrible. « La France souffre », « nous sommes dans une voiture qui roule vers le précipice », « l’heure est grave », « l’état de la France n’a jamais été aussi mauvais depuis 1945″ … Heureusement qu’ils ne sont que 6 car au-delà, nous aurions connu une vague de suicides sans précédent. 6 uppercuts, 6 éléphants me passant dessus, voilà ce que j’ai ressenti devant iTélé.
Au début, je croyais que les 6 Cavaliers de l’Apocalypse parlaient du Bangladesh et je me suis demandé pourquoi ce joli pays du sous-continent indien s’invitait dans le débat des primaires socialistes. Et puis je me suis rendu à l’évidence : ce pays en train de mourir, ce pays en déclin« livré aux forces de l’argent », « corrompu jusqu’à la moelle »… c’était la France ! Mon pays de naissance, celui que j’aime de tout mon cœur. La France de la Renaissance, de la Tour Eiffel, du Général de Gaulle ; la France du Minitel, des ordinateurs Honeywell Bull, de C Jérôme et de « Julie Lescaut ». La France qui gagne quoi.
Je me suis levé pour regarder par la fenêtre si des porteurs à bras avaient remplacé les voitures, si les rémouleurs et autres allumeurs de réverbères avaient refait leur apparition mais point de cela. La population ne défilant pas en hayon avec des manches en bois et des fourches pour réclamer du pain et la mort de Sarkozy, je me suis risqué à sortir en priant pour que des gueux ne me détroussent pas.
Sur le chemin du retour, j’ai croisé des cabriolets, des gros 4×4 et même un Porsche Cayenne (sans Strauss Khan dedans) et j’ai même vu des hommes et des femmes déambuler avec élégance dans la rue, pour entrer au cinéma…
On m’aurait menti ?
Jean-François Carias
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